Un salarié peut-il reprocher à son employeur de s'ennuyer au travail ?
Le 02 juin 2020, la Cour d'appel de Paris a reconnu le bore-out comme une forme de harcèlement moral (Cour d'appel de Paris, 02-06-2020, n°18/05421).
Les faits
Au présent cas d'espèce, Monsieur Frédéric Z, Responsable des services généraux au sein de la société Interparfums depuis le 1er décembre 2006 est placé en arrêt de travail à compter du 16 mars 2014 à la suite d'une crise d'épilepsie au volant de sa voiture.
Quelques mois plus tard, il est licencié par une lettre en date du 17 septembre 2014 pour absence prolongée désorganisant l'entreprise.
Le litige
Monsieur Frédéric Z. saisit le Conseil de prud'hommes de Paris en vue d'une part, de faire reconnaître le harcèlement moral dont il a été victime au cours de l'exécution de son contrat de travail et ayant conduit à une altération de son état de santé et d'autre part, de voir déclarer son licenciement nul.
Par un jugement en date du 13 mars 2018, le Conseil de prud'hommes de Paris faisait droit aux demandes du salarié.
L'employeur insatisfait de cette décision, interjeta appel devant la Cour d'appel de Paris.
Les arguments du salarié
Monsieur Frédéric Z. reprochait à son employeur d'avoir subi, à compter de 2010, les faits de harcèlement suivants :
- le fait d'avoir été maintenu pendant les dernières années de sa relation de travail sans se voir confier de réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles;
- le fait d'avoir été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d'homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l'entreprise;
- la dégradation de ses conditions de travail, de son avenir professionnel et de sa santé du fait de ces agissements;
- le bore-out auquel il a été confronté faute de tâches à accomplir;
- les pressions de son employeur dont il a fait l'objet pour qu'il prenne du "mediator" afin qu'il perde du poids et précisant qu'il s'en est fait prescrire de peur de perdre son emploi;
-le fait que le harcèlement moral s'est poursuivi après la rupture du contrat de travail et après le jugement rendu puisque l'employeur dans la presse ou les réseaux sociaux l'accusait d'être un maitre-chanteur ou un imposteur.
Monsieur Frédéric Z. étayait ses propos par la production des éléments suivants :
- attestations de salariés attestant de sa mise à l'écart;
- attestation d'un ancien salarié témoignant de la dégradation de l'état de santé de Monsieur Frédéric Z;
- échanges de mails démontrant la réalité des tâches effectuées au cours des dernières années;
- certificats médicaux attestant de sa dépression;
- un document de son psychanalyste;
- de nombreuses attestations de proches témoignant de la dégradation progressive de son état de santé en lien avec sa situation au travail.
La décision de la Cour d'appel de Paris
Sur la base de l'ensemble de ces éléments, la Cour d'appel de Paris a considéré que "de cette chronologie et de ces données circonstanciées que Monsieur Z établit la matérialité des faits précis et concordants à l'appui d'un harcèlement répété et que pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer un harcèlement moral".
Il appartenait dès lors à l'employeur de prouver que ses agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
Or tel n'a pas été le cas en l'espèce et la Cour d'appel en a conclut d'une part, que le harcèlement moral était établi et d'autre part, que le licenciement intervenu pour absence prolongée désorganisant l'entreprise était nul, l'absence prolongée étant en effet la conséquence de l'altération de l'état de santé du salarié consécutive au harcèlement moral dont il avait été victime.
Les conséquences ne sont pas négligeables puisque l'employeur est condamné à verser des dommages et intérêts au profit du salarié :
- au titre du harcèlement moral. En l'espèce, l'employeur doit payer la somme de 5.000 euros ce qui représente près d'un mois de salaire;
- au titre du licenciement nul. En l'espèce, au vu de l'âge du salarié (soit 42 ans), de son ancienneté ( soit 7 ans et 10 mois), de l'effectif de la société et des circonstances de la rupture, l'employeur a été condamné à payer au profit du salarié la somme de 35.000 euros, soit près de neuf mois de salaires.
Notre analyse
Cette décision n'est pas surprenante, les juges du fond faisant une exacte application des règles de droit.
En effet, aux termes de l'article L.1152-1 du Code du travail "Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel."
L'article L.1154-1 du Code du travail prévoit que : "Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.".
Cet arrêt est ainsi l'occasion de rappeler que contrairement à une idée répandue, la preuve du harcèlement moral ne repose pas exclusivement sur le salarié. En effet, si le salarié doit apporter des éléments laissant présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral, c'est à l'employeur de prouver que ces éléments ne sont pas constitutifs de harcèlement moral. La charge de la preuve est donc partagée.
Pour se faire, le salarié peut produire notamment :
- des certificats médicaux,
- des attestations de proches faisant état de la détérioration de l'état de santé du salarié,
- des attestations d'anciens salariés témoins des actes de harcèlement moral et/ou de la dégradation de l'état de santé du salarié;
- des attestations de clients/fournisseurs/partenaires professionnels;
- des échanges de mails avec l'employeur;
- des sms; etc etc.
Il appartiendra ensuite à l'employeur de prouver que ces éléments ne sont pas constitutifs de harcèlement moral.
Pour conclure
Avouer que l'on s'ennuie au travail, ce n'est pas évident. En effet, cela est souvent ressenti par le salarié comme un aveu de faiblesse ("je suis nul, je ne sais pas faire ça" etc). Le salarié préférera ainsi souvent se taire, à tort, sur sa souffrance au travail au risque de voir son état de santé se détériorer et finir en dépression. Aussi, si vous avez le sentiment d'être mis à l'écart par votre employeur, n'hésitez pas à faire appel à un avocat en droit social qui saura vous écouter et trouver, avec vous, la meilleure solution pour y mettre un terme. Le Cabinet EKM AVOCAT, expert en droit du travail, se tient à votre disposition, n'hésitez pas à prendre un RDV.